L'histoire de Sainte Musse

Préambule

Elle existe comme partout ailleurs mais comme partout ailleurs elle s'évapore et disparait avec nos anciens. La plupart nous ont laissé des traces muettes de leur existence au travers de leur activités professionnelles ( restanques , routes, puits ). D'autres et c'est plus rare, au travers d'un écrit.

C'est en forçant la pudeur de la famille Martin que j'ai pu recueillir ces documents. Je précise aussi que certains membres de la famille émettent des réserves sur les propos de leur parent.

Extraits du manuscrit

Manuscrit inachevé pour cause de dernière maladie, écrit vers 1995 par Joseph Martin pour son frère Jean-Marie.

La Ginouse Chapitre 1

Mon cher Jean-Marie,

L'histoire est la mémoire des peuples. L' histoire du peuple de Sainte Musse je la connais pour être né dans ce quartier en 1920. Je suis donc un savant historien, je vais dire ce que je sais.

Le chapitre 1 de l'histoire du quartier de Sainte Musse commence par la construction de l'église de la paroisse de la Ginouse, près du pont du Suve. A l'époque , on pouvait y rencontrer le Frère Bourgarel, Franciscain aux pieds nus, qui parcourait le quartier pour quêter pour la construction de cette église et qui plus tard fut martyrisé au Viet Nam en tant que franciscain catholique.

Notre père et son beau frère avaient acheté des terrains sur la colline du Thouars et, dans le quartier de la Ginouse, un terrain, plus une grande maison en mauvais état. Cela se situait d'après moi aux environs de 1917-1920, mais je n'étais pas né.

Après avoir fait des quêtes avec le Frère Bourgarel monté sur une charette à anes que notre père conduisait, il réussit à y construire une église, pas trés belle et il décida l'Evêque du lieu d"en faire une paroisse tout en restant propriétaire de la maison et des terrains sur lesquels avait été construite cette chapelle. Ladite chapelle ne devint paroisse que beaucoup plus tard. Le premier chapelain ne venait que le dimanche, il s'appelait l'Abbé Michel et c'est lui qui baptisa un certain nombre de Martin. Par contre lorsque l'Evêque du lieu décida de faire de la Ginouse une paroisse, l'abbé Michel était mort et les Assomptionnistes de Lorgues envoyèrent successivement différents prêtres pour desservir la chapelle de la Ginouse. C'est ainsi qu'en 1936-1938 le Père Marchand assomptionniste me faisait le catéchisme dans une grande salle payée par la générosité du Frère Bourgarel et d'autres. Le père Michel, je l'ai bien connu, de même que les gens du quartier mais par la suite la paroisse de la Ginouse a été transférée, en ce qui concerne l'église, un peu plus loin au quartier Sainte-Musse ( ndlr : du pont du Suve ? ). Cette paroisse s'appelle actuellement, la paroisse Sainte-Thérèse. Maintenant, la paroisse est toujours dans les mains des Assomptionnistes et je ne peux pas t'en dire plus. Le terrain et la grande maison ancienne ont été transformés en une salle paroissiale dans laquelle tous les enfants du quartier dont les miens ont été au catéchisme. Plus tard ce terrain et cette salle sont passés propriété de l'Evéché ( ndlr : qui les a depuis revendus ).

La Chapelle Chapitre 2

Mon cher Jean-Marie,

En 1926-1928, j'avais donc 6 ans, je me souviens que ma nourrice valettoise Rose m'emmenait promener sur la Musse parce que l'air était frais . Des maçons avaient déposé là, des tas de sable et d'autres avaient construit des échafaudages sur lesquels nous montions, mon frère et ma soeur pour regarder la mer et les bateaux qui traversaient la rade entre les falaises de Sainte Marguerite et le Cap Brun.

L'air de la mer attirait à l'époque les habitants du quartier ( peu nombreux) et il y avait comme toutes les Musses de Provence des vieilles pierres sur lesquelles on s'asseyait en été. Quand on était jeune " on se payait une bosse" ( ndlr : chanson provençale? )

La colline était plantée de thym, de serpolet rabougris, de genêts dorés et de fleurs de la Pentecôte, parce que le terrain était aride, terre rouge dit gré permien.

Il y avait à ce moment là les ruines d'une vieille chapelle complètement éparpillées En 1926, notre père ayant fait une affaire de Bourse dont il ne voulait pas profiter, décida de reconstruire les ruines de cette vieille chapelle en ruine . Il prit le meilleur architecte de Toulon, Monsieur Monestel, dont l'un des fils exerce encore. Cet architecte a reconstruit la chapelle et n'a retrouvé qu'une pierre ancienne, la clé de voute indiquant la date 1677.

La chapelle a été reconstruite par ses soins et payée par notre père. La bénédiction de cette chapelle a eu lieu en présence de tous les gens du quartier mais dans ce quartier il n'y avait que de riches bourgeois, qui eux-mêmes propriétaires d'un terrain avaient fait construire des chapelles, l'une dans la plaine chez Madame Lemarchand, l'autre au Cap Brun chez Bourgarel à Sainte-Marguerite ( les falaises actuelles), l'autre à Sainte-Agathe, un peu plus loin. Toutes ces chapelles étaient construites dans le style Voeux de Louis XIII, tandis que celle de Sainte-Musse était beaucoup plus moderne. Chacun de ces riches bourgeois rivalisait à qui aurait la plus belle chapelle, car en ces temps lointains, il y avait trop de curé dont on ne savait que faire et pas assez d'argent pour construire des cathédrales. Si bien que toutes ces chapelles étaient desservies le dimanche par des curés en surnombre à l'archevêché. La chapelle de Sainte-Musse a été terminée en 1928. Notre père Henri Martin invita tous ses amis toulonnais, presque tous officiers de marine, à la bénédiction de la chapelle et l'Evêque de Fréjus et Toulon, Monseigneur Simeone, vint pour bénir cette chapelle. A l'issu de la cérémonie, il s'écria : " Santa mussega ora pro nobis " et tous les participants se mirent à rire parce c'était la première fois qu'on entendait parler de Sainte Musse en Provence. Cela n'avait rien à voir avec les hautes falaises de la Sainte-Baume et de Sainte Madeleine. Néanmoins, depuis ce temps et l'évocation de l'Evêque, les gens du quartier parlaient de la Musse comme d'une Sainte.

Des Musses, il y en a de célèbres en Provence. Ce sont en général des lieux de rendez-vous aérés en été et la plus célèbre est certainement celle de Solliès-Pont sur laquelle les Etrusques ont construit un camp retranché d'où ils observaient les bateaux de la rade pour les piller.

Le Couvent Chapitre 3

Mon cher Jean-Marie,

A la même époque, notre père et son beau-frère avaient aussi acheté dans le quartier environ 25 ha de terres incultes et une dizaine de vieilles fermes qui s'étageaient du sommet du Thouars, dit " les bassins", qui existent encore, à d'autres vieilles fermes au sud de la colline du Thouars. Naturellement, tout ceci a été depuis longtemps revendu, reste l'histoire très intéressante de la fondation du couvent de la Visitandine de St Musse. J'avais donc 8 ans et je servais la messe dans une chapelle appelée maison Faveau, prêtée par mon père à de vieilles religieuses sans domicile fixe. Mon père ne leur demandait aucun loyer, leur a aménagé une grande chapelle dans laquelle elles ont fait venir le premier Assomptionniste qui s'appelait le père Bohon. A partir de là , les soeurs de la Visitation qui étaient environ une dizaine ont recruté à Toulon de jeunes Toulonnaises qui sont venues comme Visitandine à Sainte-Musse. Parmi elles, se trouvait la Soeur Alix, soeur de l'architecte célèbre Alix, auteur de l'exposition universelle de l'époque . Cet architecte que j'ai bien connu, lui, sa femme et son fils, venait souvent déjeuner avec mes parents.

C'est alors que se produisit le miracle.

Alix n'avait pas d'enfant et fit faire une neuvaine par la Visitation de Sainte-Musse pour en avoir un. Quand il l'eut, tout comme Louis XIII, il offrit aux Soeurs de la Visitation de leur construire un couvent digne d'elles. Mais mon père, à part le terrain qu'il avait donné, n'a jamais eu l'argent nécessaire pour construire cet immense couvent. Dans un premier temps, l'architecte Alix que nous voyons souvent, venait de Paris pour surveiller l'avancement des travaux. C'étaient en général de grandes entreprises de maçonnerie de Soisson, ou autre, qui ont maintenant fait fortune sur la Côte d'Azur, mais je suis certain que notre père n'a pas pataugé dans ces affaires de fric.

Dans les années 35-39, et je ne peux pas préciser exactement quand, les histoires de fric ne permettaient plus de continuer la construction de cet immense couvent de la Visitation. Cependant à cette époque était construite une grande chapelle, architecte Alix, mais également un grand cloître très original puisque les piliers étaient confectionnés avec des carreaux rouges de Salernes. Bien évidemment, je ne suis pas au courant de toutes ces tractations financières. Mais tout s'arrêta faute de fric.

Alors la guerre est survenue, les Visitandines de ce couvent sont parties dans le Cantal et le couvent fut occupé par la Kriegsmarine, c'était l'Amiral allemand qui commandait les opérations en Méditerranée. D'après ce que j'ai compris, il était très catholique et au lieu de piller ce couvent, il fit terminer les constructions, à savoir un grand bâtiment d'habitation au frais de la marine allemande . Mais pendant toute la guerre, le couvent était occupé par les militaires allemands et lorsque survint l'Armistice, j'eus la surprise de voir l'Amiral commandant la flotte allemande taper devant ma vieille maison pour me dire: " J'ai promis à la Supérieure de vous rendre les clefs, et je vous les donne" . Je lui ai demandé, peut être méchamment : "Vous partez définitivement? " et il m'a répondu en bon militaire : " Mais nous reviendrons bientôt". Il m'a donc remis les clefs. C'était en pleine bataille de Toulon, en août 44. Dès que les allemands furent partis, j'avais dans ma maison une secrétaire, Mademoiselle Le Penven qui logeait chez moi et faisait mon courrier. Apprenant que les Allemands étaient partis, elle se précipita au couvent pour trouver des boites de conserve et là, elle eut l'heureuse surprise de trouver, non seulement des boîtes de conserve en abondance, mais une quarantaine de soldats allemands qui lui demandèrent de les faire prisonniers. Ils descendaient de la Batterie du Thouars.

Mademoiselle Le Penven, pleine de courage, les enferma dans les caves du couvent et revint avec les boîtes. Puis les troupes françaises, le Bataillon de marche n°4, s'emparèrent du couvent.

Après cet épisode, le couvent resta un certain temps libre d'occupant puisque les Allemands étaient partis et qu'apparemment, personne ne voulait se faire visitandine. J'avais la clef, mais le couvent était ouvert à tous vents. Cette situation se prolongea quelques temps sans que je puisse dire pour quelle raison, mais un jour les Visitandines de Toulon, qui se trouvaient dans le Cantal, décidèrent de revenir dans ce couvent, mais pas pour longtemps. Je te raconterai la suite dans une autre lettre.

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